Deux grands hommes et demi raconte d’une seule voix l’aventure et l’amitié de deux jeunes hommes chassés de la région de Kayes, au Mali, par les grandes sécheresses, puis de Bamako vers la France suite au coup d’État de 1991. Mais cette voix – celle de Manthia, le garçon pauvre et mélancolique du duo – fait l’objet d’un dispositif narratif imprimant toute sa force littéraire et politique au second roman de Diadié Dembélé.
Nous parvenant depuis un centre de rétention, adressée à un avocat et passant par le truchement d’un interprète, cette voix est donc doublement voire triplement traduite. Son existence et son avenir sont pris dans les rets d'une langue que Manthia ne maîtrise pas. De plus, il s’exprime dans le cadre d’une comparution : son histoire, ses actes, ses choix, sur lesquels on l’oblige à poser douloureusement des mots, seront eux-mêmes transcrits, par d’autres, en des termes juridiques. Entre l’« accusé », son traducteur et son « défenseur » s’instaure ainsi une relation trouble liant la victime à son traître et à son bourreau, où se révèlent de multiples rapports de force.
Un écho kafkaïen imprègne le récit du destin de cette génération qui fut celle du père de l’auteur, pourtant appelée à représenter l'avenir d’une nouvelle Afrique libérée de la colonisation.