Le premier roman de Bénédicte Dupré La Tour naît d’une interrogation : pourquoi, enfant, a-t-elle joué non aux Gaulois et aux Romains, mais aux cowboys et aux Indiens, alors qu’il s’agit de récits qui n'appartiennent pas directement à son univers culturel ?
À première vue, ce roman choral peut sembler profondément ancré dans la mythologie du western. On y retrouve, incarnés par ses différents personnages, les motifs de la ruée vers l’or, de la guerre contre les Indiens, de l’évangélisation des colons, du déserteur traqué, de la prostitution. Pourtant, les choix narratifs et stylistiques de l’autrice déconstruisent subtilement les codes habituels.
Les contraintes formelles à l'œuvre – telles l’absence des mots « saloon », « Indiens », « cowboy », ainsi que l'absence de toute mention géographique – projettent le roman sur des territoires moins familiers. En filigrane, ces absences remarquables orientent le récit vers un processus de décolonisation de l’imaginaire collectif, renversant les perspectives en donnant une place centrale aux voix marginales et aux vies minuscules : celles des femmes – prostituées, indiennes ou épouses de colons, celles des Indiens ou des hommes modestes – orpailleurs, bonimenteurs, révérends. Ce déplacement de point de vue confère une profondeur inédite à ce genre littéraire et cinématographique, habituellement dominé par le manichéisme des « grands récits», et offre des outils pour interroger nos perceptions culturelles.